(éd. pour DAWN) Gita Sen et Marina Durano
(Londres, Zed Books, 2014)
Cet ouvrage est dédié à la mémoire de Josefa (Gigi) Francisco dont l’engagement envers la justice sociale et l’égalité des sexes, ainsi que la foi dans le pouvoir des mouvements sociaux, ont permis de réaliser ce travail
Partie I : Aperçu introductif
Les contrats sociaux revisités : la promesse des droits humains
GITA SEN ET MARINA DURANO
Cet ouvrage est le produit d’un effort collectif de DAWN et de personnes alliées pour comprendre les complexités de notre époque, mettre en question les réseaux de pouvoir et les nombreuses formes intersectionnelles que revêt l’injustice sociale et préciser ce qu’il faudra pour combattre et transcender la puissance des forces destructrices de la mondialisation et leur réaction. Rédigé par un groupe international d’auteurs représentant diverses compétences dans les domaines de l’économie politique, de l’écologie, des droits humains et du changement social, l’ouvrage s’efforce d’en tisser les liens, pour articuler une vision à la fois multifacettes et interdépendante. À la base de cette vision, se trouve notre compréhension collective du monde, dans lequel nous vivons, et notre conviction qu’il est à la fois essentiel et possible de changer ce monde. Partant d’une perspective féministe du Sud, l’ouvrage explore le potentiel d’une approche interdépendante des droits humains pour affronter et transformer le monde féroce dans lequel nous vivons. Il ne fournit pas de modèles, mais il cherche plutôt à ouvrir des débats dans la quête de compréhension de dilemmes complexes et difficiles sur des terrains politiquement chargés.
Le début du vingt-et-unième siècle a été marqué, partout dans le monde, par la guerre contre le terrorisme et la crise financière et économique. Cependant, derrière ces grands titres, se cachent d’autres phénomènes non moins importants, tels que le changement climatique, l’extinction d’espèces et une multitude de crises écologiques connexes, ainsi que des réactions de rejet à l’égard des progrès en matière de justice sociale et de droits humains pour tous. En cherchant plus loin encore, on trouve la transformation radicale du monde du travail qui tend vers la flexibilité et la précarité et qui détermine ce qui est possible et probable, à travers des politiques sociales. Un « nouveau monde féroce » est né – plein de prémisses ébranlées, de contradictions compliquées, de fractures graves, d’hostilités sévères, de promesses brisées et de résultats incertains pour les peuples du monde ».
Notre utilisation du terme « contrat social » s’inscrit dans l’économie politique du pouvoir et de l’inégalité à multiples niveaux et sous diverses formes. Par contrat social, nous entendons une convention collective qui repose sur le pouvoir et en est imprégnée. Il peut être imposé depuis le sommet et combattu depuis la base ; il présente toujours un potentiel de changement. Toutefois, sa fluidité est aussi entrecoupée de stabilité. Les périodes de stabilité des contrats sociaux, locaux ou mondiaux, sont celles où notre compréhension collective de ce qui est et de ce qui devrait être est stable et plus ou moins en synchronie ; ce sont aussi celles où les structures de pouvoir et les institutions associées sont relativement stables. Mais les contrats sociaux sont toujours en évolution. La fracture des contrats sociaux existants peut avoir plusieurs sources : les mouvements sociaux, les changements technologiques, les transformations institutionnelles et culturelles et, bien entendu, les pressions économiques et écologiques. Notre lecture de l’histoire récente utilise ce sens ouvert et flexible des contrats sociaux pour analyser ce qui est et ce qui devrait être, sous l’angle de la justice sociale et des droits humains.
Sous cette perspective, deux sous-périodes après la Seconde Guerre mondiale offrent une étude tout en contraste. La période de 1945 à 1980 a été marquée par la croissance économique de l’après-guerre, le démantèlement des empires coloniaux, l’optimisme quant à l’état de développement et son potentiel pour lutter contre la pauvreté et les privations, la croyance en l’avènement possible d’un Nouvel ordre économique international, la remise en cause de l’idée d’une croissance sans limite, la montée des mouvements sociaux mondiaux, y compris les mouvements de femmes, l’établissement de normes et d’une gouvernance internationales et enfin, une surveillance accrue des activités des sociétés transnationales. Il y avait dans l’air un changement progressif, alimenté par la foi en la justice sociale, l’égalité économique et politique et les droits humains , et appuyé par les politiques expansionnistes des États-providence et développeurs, qui ont été soutenues, dans les années 1970, par la Banque mondiale, au titre des besoins de base et de la « redistribution avec croissance ».
[1] C’est le résumé du livre « The Remaking of Social Contracts: Feminists in a Fierce New World » (édité pour DAWN) par Gita Sen et Marina Durano (Londres, Zed Books, 2014). Ce résumé est destiné aux mouvements sociaux et aux autres organisations, pour leurs besoins de plaidoyer et de formation. Il a été élaboré par Claire Slatter, Seona Smiles et Gita Sen pour DAWN, en 2015. DAWN en détient les droits d’auteur.